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LA FONTAINE SAINTE ANNE

La Sainte Anne de Vue : entre tradition millénaire et dimension spirituelle

Depuis des siècles la dévotion à Sainte Anne trouve son point d'orgue le 26 juillet dans la commune de Vue. Si ce jour était chômé dans tous les environs afin de permettre à tout un chacun de se rendre disponible pour le culte même quand le 26 tombait en pleine semaine, ce n'est plus le cas aujourd'hui et les pèlerins viennent suivre l'office en plein air sur le site de la fontaine miraculeuse le dimanche le plus proche, c'est à dire le 27 juillet pour cette année-ci.

 

Après deux miracles validés par les services de l'évêché au milieu de 17ème siècle pour un aveugle ayant recouvré la vue et une impotente étant repartie à pied du pardon de Vue, l'engouement pour ce pèlerinage local a été ravivé à l'échelle de tout le Pays de Retz mais la fameuse fontaine est bien plus ancienne car elle date du 7ème siècle. C'est un lieu qui a été christianisé par les moines venus de St Philbert de Grandlieu mais avant d'être dédié à sainte Anne, il y avait un culte originel païen en l'honneur d’Ana, la déesse celtique de la prospérité, de la fécondité et de la régénération. C'est donc sur les vestiges d'une fontaine gauloise préexistante, que l'actuelle a été édifiée. C'est de là qu'on peut aisément revenir à l'origine du nom de la commune, car le terme gaulois "vidua" signifiait "vision spirituelle, connaissance", avant de désigner plus simplement la vue en latin. On retrouve cette racine dans le substantif "druides" (dru-wides), qui signifie littéralement " les très savants" et dans l'allemand "wissen" traduction du verbe "savoir". L'eau de la fontaine est donc une eau qui permettrait de retrouver, non pas la vue au sens ophtalmique du terme, mais plutôt d'accéder au troisième oeil, celui qui ouvre les portes de la spiritualité et de la sagesse. Cette particularité étymologique explique aussi le nom des habitants, tels qu'ils étaient nommés dans la plupart des écrits institutionnels du XXème siècle : " les viduens". La dimension spirituelle du site est donc millénaire, c'est peut-être pour cela que la procession a toujours lieu de nos jours, entre attirance inconsciente et tradition tirée du fond des temps.

 

Un rituel immuable

 

La distribution de cette eau, réputée pour ses vertus purificatrices, est un rituel attendu et suivi depuis des siècles,

Lucien Gantier se rappelle : " En 1963, j'avais 10 ans, j'étais enfant de chœur à l'époque du curé Ollivier. On était deux ou trois à avoir la charge de servir l'eau pendant une ou deux heures, puis une autre équipe prenait le relais. L'objectif était de tirer l'eau de la fontaine avec une pompe Jappy qui était fixée sur le côté droit du puits, on la mettait dans des quarts en métal alors que les anciens le faisaient avec des ''bues'' comme on le voit sur la carte postale où officie mon arrière-grand-père, Louis-François David( à droite). Les pèlerins nous demandaient de remplir leur verre avec l'eau pour la consommer immédiatement mais aussi des bidons à lait en aluminium ou des bouteilles qu'ils ramenaient chez eux pour la boire. Ils laissaient une offrande sur l'autel en granit qui se trouve encore juste en face de la fontaine. Nous avions droit aussi à notre pourboire. Ainsi on avait un peu de monnaie pour la fête foraine qui avait lieu en marge de cet événement religieux. Pour nous c'était une fête exceptionnelle qui finissait avec un bal chez les filles Masson." Que de souvenirs pour ceux qui ont vécu ces années où il y avait peu de loisirs en dehors de ces grands rassemblements que personne n'aurait voulu rater tant ils étaient festins et permettaient ainsi de s'évader d'un quotidien souvent laborieux.

 

Des bues pour y mettre de la potion magique

 

Les fameuses "bues", pots pansus avec un bec et une poignée que l'on distingue bien sur cette illustration de la première partie du XXième siècle, étaient très prisées pour conserver à l'eau sa fraîcheur et ses qualités. La tradition orale du Pays de Retz a conservé cette pratique dans cette comptine que beaucoup ont pu entendre en sautant sur les genoux de leurs parents :

" Ahue, ahue, mon petit tutu,

Pour aller demain à Vue

Acheter des pots

Car les gros, ils coûtent trop…

Au pas, au pas, au pas,

Au trot, au trot, au trot,

Au galop, au galop, au galop…"

Alors avec ou sans bues, que ce soit pour lutter contre la cécité ou acquérir davantage de clairvoyance, rendez-vous dimanche entre litanies et verres d'eau miraculeuse… en guise de "potion magique".

Quand la cour des miracles était à Vue.

 

Comme chaque année la Paroisse Ste Anne Françoise en Retz organise le fameux pèlerinage de la Sainte-Anne à Vue. En effet, c'est depuis plusieurs siècles que  Sainte-Anne est priée ici, notamment lors du pèlerinage annuel jusqu'à la fontaine miraculeuse, contemporain de celui d'Auray. Mais cette dévotion a des racines qu'il est toujours bon de rappeler. Petit éclairage historique.

 

Si l'adoration à Ana, mère des celtes se perd dans des temps immémoriaux, nous savons que l'évangélisation chrétienne avait pour habitude d'opérer des glissements cultuels de manière à s'installer en douceur auprès des autochtones. D’Ana à Sainte Anne, mère de Marie, il n'y avait qu'un pas qui fut aisément franchi par le grand évangélisateur du Pays de Retz, Saint Philibert. C'était d'ailleurs aussi son nom que portait l'ancienne église de Vue mais c'est véritablement en 1855, lors de l'édification d'une toute nouvelle église que le curé de l'époque devant l'importance des pèlerinages a décidé de faire graver dans le marbre les arrêtés suivants par Alexandre, évêque de Nantes :

Article I : La nouvelle église de la paroisse de Vue sera placée sous le patronage et sous le vocable de Sainte-Anne.

Article II : La fête patronale de Vue: elle sera célébrée sous le rite annuel, avec octave.

Article III : elle sera transférée au dimanche suivant, soit pour l'office privé, soir pour la solennité, conformément à la rubrique des patrons.

Article IV : conformément à un ancien usage, cher à la piété des fidèles, et à raison de l'affluence des pèlerins, nous autorisons M.le curé de Vue à faire chaque année, le 26 juillet, jour ou tombe la fête, une procession.

 

Cette procession était particulièrement suivie depuis que deux miracles avaient été attestés par l'évêché deux siècles auparavant.

Ainsi, le 29 mai 1657, c'est Jacques Burgaud de Challans qui recouvrait la vue comme le stipule l'acte authentique suivant (ADLA 612) : "Agé de 50 ans environ, à ce qu'il nous dit, mari de Renée Croizet, il avait perdu la vue par maladie qui lui était arrivée, il y a 6 ans, si bien qu'il le fallait conduire là où il voulait aller. Ayant recours à Dieu, il fait voeu de venir en voyage à la Bienheureuse-Sainte-Anne-de-Veue et s'y fait conduire par sa femme.. Approchant de la chapelle de ladite Sainte Anne. Eux lui dirent : la voyez-vous bien? Oui, dit-il et bien d'autres logis. Puis se retournant du côté d'où il venait, il dit : Je vois un moulin qui va. Sans tarder, ils se sont rendus à la chapelle, y ont entendu la messe, fait leurs prières et oraisons. Et là-dessus, il nous a dit qu'il s'en retournerait par la grâce de Dieu sans conduite. Ce fait a été certifié sincère et véritable en présence de Louis Ruffeneille, prêtre vicaire de Veue et du notaire, maître Jean Huteau. Le dit Burgaud a dit ne savoir signer, a fait signer à sa place Missire Denis Baraud, être chapelain de Veue, ce jour après-midi." Suivent les signatures.

Deux ans plus tard, un autre miracle arrive : "Le 30 juillet 1659, devant nous, notaire du duché de Retz, pairie de France, a comparu : Jeanne Raballand, veuve du défunt Pierre Grassineau et Jeanne Grassineau, leur fille, âgée de 26 ans, native de la paroisse de Beauvoir-sur-Mer : laquelle ayant fait le voeu de se faire mener et conduire au bourg de la bienheureuse sainte Anne à Veue, diocèse de Nantes: est arrivée à Veue à la chapelle le jour de jeudi dernier 28 juillet vers 11 h du matin et ayant fait leurs prières et dévotions devant l'image de la bienheureuse sainte Anne, étant dans une petite charrette conduite par Françoise Grelaud, domiciliée dans leur paroisse aussi. Ils nous ont dit : il y a huit ans ou environ, ladite fille Grassineau n’a aucunement marché jusqu'`a aujourd'hui 30 dudit mois de juillet, environ midi. Et discret Missire Gilles Boissineust, prêtre recteur de Veue, Jean Forêt, Piere Prin, Noël Bretebaud et nous notaire soussigné et plusieurs autres personnes ont aussi vu marcher et suivi la Grassineau depuis la demeure de Veue jusqu' à l'église paroissiale faisant louange et rendant grâce à notre Seigneur, à la bienheureuse sainte Anne et à tous les saint du paradis. De quoi le sieur recteur nous arquais pour le pressent acte qui lui sera octroyé dudit jour et an." Suivent neuf signatures dont celle du notaire Jean Huteau.

 

Alors, jamais deux sans trois ; à quand le prochain miracle?

La Fontaine de nos jours :

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